Remarque préliminaire : je ne suis ni sociologue ni statisticien de formation, et j’espère que je ne vais pas trop écrire d’énormités.
Hamrock a écrit : ↑19 avr. 2017 12:56
Nan mais je m'en fiche d'avoir l'approche la plus pertinente qui soit pour définir quoi que ce soit, je ne réalise pas une étude socio...
C’est un peu le problème! Avant de passer à la mesure, il faut avoir une idée au moins vague de ce qu’on qualifie de « CSP+ » (un terme dérivé des CSP/PCS de l’INSEE mais dont l’usage courant les dépasse) ou d’élites, ou de classes supérieures, etc... Chacun d’entre nous porte des jugements (qui peuvent différer) sur le prestige de différentes positions sociales et sur la proximité de différentes occupations entre elles, et il est tout sauf évident de passer de ces jugements à la constitution raisonnée de groupes cohérents. La classification des professions et la stratification sociale est un domaine de recherche et de réflexion à propos duquel il existe une immense bibliographie. Elle a notamment été renouvelée en France, et en particulier à l’INSEE, avec les tentatives d’arriver à des catégories statistiques communes à l’échelle européenne – où une vision à la Goldthorpe l’a il me semble emporté sur l’approche par PCS à la française.
Notons qu’une approche en termes de revenus, ou de patrimoine, ou même de situation sur le marché du travail, a ses limites pour décrire l’espace social. Par exemple, l’appartenance à la « bonne société » telle qu’elle peut être cartographiée par l’apparition sur le Bottin Mondain, ou le fait d’avoir ses entrées au Siècle, etc… n’est pas qu’une question d’argent. Pour caricaturer, il n’est pas impossible qu’un plombier gagne plus qu’un professeur au collège de France, mais lequel des deux « compte » le plus dans la société ? Et même si l’on se restreint à des critères purement économiques, il n’est pas évident de savoir ce qu’il faut mesurer (salaires, revenus, patrimoine…).
L’approche des CSP/PCS de l’INSEE est une classification des métiers parmi d’autres. Elle a ses spécificités par rapport à la tradition anglo-saxonne, dont notamment une approche plus « constructiviste » : elle n’a pas été construite par les seuls statisticiens, mais représente, ou a représenté, une vision construite de l’espace social, établie en liaison avec les partenaires sociaux. Les catégories de l’INSEE sont en grande partie nées avec les hiérarchisations des salariés dans les conventions collectives et avec la réorganisation des services publics dans l’après-guerre. Les conventions adoptées ont en retour beaucoup influencé la sociologie et la manière de poser les questions d’inégalités dans le débat public. Un petit ouvrage d’introduction aux PCS que je conseillerais est celui de Desrosières et Thévenot (1986). De manière plus générale, Desrosières a écrit beaucoup de choses intéressantes sur les PCS.
On observe cependant clairement un déclin de l’approche par PCS dans les dernières années, dont ton constat initial est d’ailleurs révélateur. Pour aller très vite, les PCS ne discriminent plus autant les pratiques culturelles, et ne sont pas forcément le meilleur angle d’approche des évolutions récentes de l’emploi et des inégalités. En même temps, elles sont moins en vogue à l’INSEE depuis la fin des années 80. Pour aller plus loin dans la réflexion à ce sujet, je te renvoie notamment à un article de Pierru et Spire (2008) sur le « Crépuscule des catégories socioprofessionnelles », accessible en ligne. Mais de manière générale, les approches récentes des inégalités ou des évolutions de la stratification sociale ont tendance à moins passer par la CSP. Voir aussi l’article classique de Chauvel (2004) sur « Le Retour des classes sociales ? » pour des remarques intéressantes.
Si tu spécifies mieux ta question, il y a quand meme pas mal d'informations disponibles en ligne.
Voir notamment Godechot (2011):
Finance and the rise in inequalities in France, disponible comme document de travail en ligne, pour les très hauts salaires.
Ces remarques préliminaires faites, voici quelques chiffres tirés des DADS 1/12 grand format 2014, disponibles en accès libre sur le site de l’INSEE. La source a été choisie pour des raisons de facilité et pour des raisons légales d’accès ; je conviens très volontiers qu’il ne s’agit pas de l’approche la plus pertinente pour traiter la question initiale.
Il s’agit d’informations sur les salaires (ce qui laisse de côté les revenus d’activité des indépendants, ainsi que toute question liée au patrimoine). Je renvoie au site de l’INSEE pour les questions de définition de l’échantillon, mais il s’agit très grossièrement d’un échantillon d’un douzième des salariés en France (2 198 106 individus dans l’échantillon), choisis selon leur date de naissance.
L’objectif de ces chiffres sera de donner plus d’informations sur la tranche la plus haute de salaires décrite dans les DADS (sous ce format accessible à tous): une rémunération nette globale (cumul de toutes les rémunérations nettes d’un salarié perçues sur l’ensemble de ses postes au cours de l’année) de plus de 50 000 euros, soit plus de 4 166 euros nets par mois.
Tout d’abord, les personnes gagnant un salaire de plus de 50 000 euros par an représentaient 97 514 individus sur 2 198 106, soit 4,44% de l’échantillon (je ne m’embête pas à pondérer car la pondération est de 12 pour chaque personne de l’échantillon).
Parmi ces salariés les plus riches, 8 (0,01%) avaient moins de 20 ans, 1 778 (1,82%) entre 21 et 30 ans, 18 409 (18,88%) entre 31 et 40 ans, 35 901 (36,82%) entre 41 et 50 ans, 33 976 (34,84%) entre 51 et 60 ans, 7 442 (7,63%) plus de 60 ans.
La tranche de salariés les plus riche représente 0,01% des salariés de moins de 20 ans, 0,36% des salariés de 21 à 30 ans, 3,51% des salariés de 31 à 40 ans, 6,43% des salariés de 41 à 50 ans, 7,57% des salariés de 51 à 60 ans, 9,53% des salariés de plus de 60 ans.
Parmi la tranche des salaires la plus élevée de l’échantillon, les catégories socioprofessionnelles (codées sur deux positions) les plus représentées sont :
- Cadres administratifs et commerciaux d’entreprise : 35,21% (des individus dans la plus haute tranche de salaires)
- Ingénieurs et cadres techniques d’entreprise : 24,33%
- Professeurs, professions scientifiques : 10,88%
- Cadres de la fonction publique : 8,85%
- Chefs d’entreprise de 10 salariés ou plus salariés de leur entreprise : 4,93%
- Professions intermédiaires administratives et commerciales : 3,34%
- Professions de l’information, des arts et des spectacles : 1,70%
- Techniciens (sauf techniciens tertiaires) : 1,64%
- Employés administratifs d’entreprise : 1,43%
- Contremaitres, agents de maitrise (maitrise administrative exclue) : 0,93%
- Professions intermédiaires de la santé et du travail social : 0,81%
- Professeurs des écoles, instituteurs et professions assimilées :0,71%
- Ouvriers qualifiés de type industriel : 0,70%
- Profession intermédiaires administratives de la fonction publique : 0,58%
- Ouvriers qualifiés de type artisanal : 0,56%
- Commerçants et assimilés (salariés de leur entreprise) : 0,55%
Avec ces catégories, on arrive à 97,15% des personnes dans la tranche la plus haute des salaires ; je n’avais pas envie de lister les catégories en représentant moins de 0,5%.
Parmi les cadres administratifs et commerciaux d’entreprise (35,21% des salariés les plus riches donc), on avait comme catégories (au niveau 4 de détail des PCS ;
je pense qu’un niveau d’agrégation intermédiaire serait beaucoup plus pertinent, mais il me faudrait le construire…):
- Cadres d’état-major administratifs, financiers, commerciaux des grandes entreprises : 6,03% (des cadres administratifs et commerciaux dans la tranche des salaires la plus haute)
- Cadres chargés d’études économiques, financières, commerciales : 7,05%
- Cadres de l’organisation ou du contrôle des services administratifs et financiers : 8,79%
- Cadres des autres services administratifs des grandes entreprises : 6,49%
- Cadres des services financiers ou comptables des petites et moyennes entreprises : 6,38%
- Cadres des autres services administratifs des petites et moyennes entreprises : 7,05%
- Cadres commerciaux des grandes entreprises (hors commerce de détail) : 8,01%
- Cadres commerciaux des petites et moyennes entreprises (hors commerce de détail) : 14,19%
Ces sous-classes réunies représentent 63,99% des cadres administratifs faisant partie de la tranche des salaires la plus élevée ; je n’ai listé qu’au-dessus de 5%.
Parmi les ingénieurs et cadres techniques d’entreprise, catégorie qui doit intéresser le forum, je vais lister au-dessus de 4% (encore au niveau 4 de détail des PCS):
- Directeurs techniques des grandes entreprises : 4,54% (des ingénieurs et cadres techniques d'entreprise dans la tranche des salaires la plus haute)
- Ingénieurs et cadres d’étude, recherche et développement en électricité, électronique : 4,97%
- Ingénieurs et cadres d’étude, recherche et développemnt des industries de transformation (agroalimentaire, chimie, métallurgie, matériaux lourds) : 4,87%
- Ingénieurs et cadres d’étude, recherche et développement en informatique : 15,07%
- Ingénieurs et cadres d’administration, maintenance, support et services aux utilisateurs en informatique : 5,07%
- Chefs de projet informatiques, responsables informatiques : 8,85%
Les sous-catégories citées recouvrent 43,37% des ingénieurs et cadres techniques d'entreprise dans la tranche des plus hauts salaires.
Quelques remarques conclusives : d’une part, 50 000 euros ou plus, c’est une tranche ou tout le monde gagne bien sa vie, mais où il doit rester énormément d’hétérogénéité dans les salaires. Ce n’est pas la tranche que je choisirais pour étudier les hauts revenus, mais la base ne donnait pas de tranche plus fine. D’autre part, ces statistiques sont relatives aux salariés, il faut à tout prix compléter par l’étude des indépendants. Il doit y avoir des chiffres intéressants sur ces derniers dans l’édition 2015 d’INSEE Première, et on en trouve facilement sur internet.
