MATHADOR a écrit :Les probabilités sont un cas particulier de la théorie de la mesure, il n'y a aucun débat sur ça, même pour les probabilités discrètes vues en prépa.
Je pense qu'on s'est mal compris. Si tu penses qu'il n'y a aucun débat sur ça, je te renvoie à des livres de probabilités écrit par des chercheurs sans doute plus expérimentés sur le sujet que nous deux, regarde la préface du livre de Candelpergher par exemple pour voir que non, tout le monde n'est pas d'accord avec toi.
Alors par contre faut s'entendre sur la notion de "cas particulier". Évidemment tout le monde s'entend sur le fait que les probas se formalisent à travers la théorie de la mesure. Quand je dis que ce n'est pas un cas particulier, je veux juste signifier que les raisonnements qu'on nous demande en proba sont d'un esprit souvent différent de ceux qu'on nous demande en théorie de la mesure. Par exemple, la théorie des corps peut être vue comme un cas particulier de la théorie des anneaux si on part du principe qu'un corps n'est qu'un anneau où tout est inversible, et ce n'est pas choquant non plus de dire que c'est des domaines qui n'ont quasiment rien à voir parce que les propriétés générales des anneaux sont souvent triviales sur les corps et les deux objets sont utilisés dans des domaines assez différentes et demandent une intuition très différente aussi.
Bref le vocabulaire que j'ai choisit est sans doute discutable, mais n'épiloguons pas sur ce choix je ne pense pas que ce soit le plus intéressant.
Je détaillerais un peu plus loin pourquoi je trouve ça néfaste de se
contenter d'un esprit "application des mesures".
De quelle expérience parles-tu ? Quand je vois mes camarades et collègues probabilistes, entre le niveau disons M1 et doctorat dans le domaine, je constate surtout des lacunes en analyse et en théorie de la mesure, surtout dès lors qu'on en a besoin pour un niveau un peu avancé (en gros niveau M2 d'analyse) pour l'utiliser en probabilités. [..] Beaucoup d'utilisateurs des probabilités ne comprennent pas les théorèmes qu'ils manipulent et ne savent même pas que certains résultats qu'ils utilisent au quotidien reposent sur le caractère fini de la masse totale d'une mesure de probabilité.
Alors, l'expérience dont je parle :
- D'abord, les cours de probabilités de L3 en question. Dans l'école où j'étais, il était assez communément accepté comme le cours le plus compliqué, parce que justement assez peu intuitif. Un exemple qui me vient parmi tant d'autres, la loi de Poisson, que tout le monde utilisait en mode bachotage sans vraiment savoir d'où elle sort et dans quelles situations il est logique de l'employer. Vois-tu, d'après moi on peut avoir tout compris à la théorie de la mesure sans comprendre ce genre de choses, qui me semblent pourtant fondamentales en probabilités. C'est pour ce type de soucis que je trouve néfaste de se limiter au point de vue "cas particulier des mesures".
Sans parler de tout ce qui concerne les automates probabilistes (où j'ai du mal à voir quel genre d'intuition peuvent nous donner les mesures), ou les martingales.
- Plusieurs livres de proba que j'ai lu, comme celui cité plus haut ou celui de Ouvrard, dont les auteurs ont enseigné les probas et partagent cette opinion. Bon après tu cites toi-même tes profs de M2, on va pas se lancer dans une bataille d'arguments d'autorité. Mais bon, je cite ces auteurs parce que leurs opinions ont le mérite d'être facilement vérifiable, il suffit d'aller regarder la préface de leurs livres (enfin je crois, peut-être faut-il aller un peu plus loin que la préface au fond ..)
- La mienne, tout au long de ma préparation à l'agreg et des cours particuliers que j'ai pu donner, où j'ai constaté les difficultés de beaucoup à passer au-dessus du côté bachotage des probas pour se faire une véritable intuition.
Par contre, concernant les lacunes dont tu parles, "en analyse et en théorie de la mesure". Déjà c'est un peu vague ton histoire de "lacunes en analyse" .. De mon côté je ne note pas de "lacunes en analyse" chez ceux qui font des M2 orientés analyse ou de proba, pas plus que de "lacunes en algèbre" chez ceux qui font des M2 orientés théorie des nombres. Bref je serais pas contre un peu plus de précision.
Mais entendons-nous bien : je suis d'accord sur l'idée que le manque de maîtrise en théorie de la mesure est problématique chez les élèves qui découvrent les probas et ne les aide clairement pas à maîtriser le sujet. Mais là où tu penses que c'est le soucis principal moi je pense que tu lui accordes trop d'importance. J'ai jamais entendu dire par exemple que les élèves ne maîtrisaient pas assez les espaces Lp quand ils font de l'analyse fonctionnelle, ou que les élèves de M2 ont des difficultés particulières avec toutes les propriétés des intégrales. Au contraire, quand je regarde les M2 d'analyse dans mon entourage je suis souvent bluffé par leur virtuosité sur ces sujets, mais bon comme je suis plutôt un algébriste l'argument n'est pas forcément convainquant.
D'ailleurs je vois pas non plus de lacunes flagrantes en proba chez ceux qui s'orientent vers un M2 de probas, mon problème à moi concerne principalement le moment où l'on est (ou était) introduit à ce domaine, autour du L3, et donc tous les élèves qui plus tard iront dans d'autre domaines. Et là aussi, chez les algébristes qui préparaient l'agreg avec moi, les raisonnements sur les intégrales ou les espaces Lp, ça allait, mais les probas c'était impasse la moitié du temps. Ça montre à mes yeux que c'est bien les probas qui posent fondamentalement problème, et pas la théorie de la mesure dont on a déjà besoin pour d'autres domaines (même si ce n'est clairement pas ce qui est le mieux maîtrisé).